Synthèse de matériaux
Virginie VIALLET, Nadir RECHAM, Matthieu BECUWE, Vincent SEZNEC, Raphaël JANOT, Pierre GIBOT, Christian MASQUELIER, Jean-Pierre BONNET, Da HUO, Jean-Noël CHOTARD, Dominique LARCHER
De nos jours, il est reconnu que les propriétés physico-chimiques intrinsèques et microstructurales d’un matériau découlent du type de synthèse ou procédé mis en œuvre pour son élaboration. Savoir proposer, développer et mettre en application différentes approches expérimentales est une force du laboratoire. Les synthèses par réactions en phases solides ; traitement hautes températures (four sous flux de gaz, tubes scellés sous vide) et mécanochimie (broyage) sont fortement éprouvées au LRCS. Toutefois, soucieux d’améliorer sans cesse les propriétés des matériaux et par conséquent leurs applications, le laboratoire explore des approches moins conventionnelles. Ceux sont ces dernières qui sont présentées dans les paragraphes suivants sans caractère exhaustif.
La synthèse par transformation topotactique
L’idée d’utiliser le germanium Ge et du silicium Si comme composés anodiques dans les dispositifs électrochimiques de stockage de l’énergie est à priori intéressante en raison de capacités théoriques élevées (Li15Ge4/1384 mAh/g, NaGe/369 mAh/g, Li15Si4/3600 mAh/g). Toutefois, des variations de volume (> 300%) lors des cycles charge/décharge sont pénalisants pour une application comme matériau pour batteries. En collaboration avec l’ICG à Montpellier [190], des structures lamellaires (GeH)n, plus appropriées à des évolutions volumiques, ont été préparées à partir de la désintercalation du calcium (Ca) dans les phases Zintl CaGe2 dissoutes dans l’acide chlorhydrique. Des capacités réversibles de 2150 mAh/g vs. Li et 490 mAh/g vs. Na, soit supérieures aux matériaux massifs, ont été obtenues combinées à des capacités de rétention de ~ 70% après 30 cycles, validant l’intérêt des structures 2D lamellaires germanane comme anodes. La collaboration s’est poursuivie avec la préparation de composites lamellaires silicium/germanium (Si/Ge) [137]. L’idée étant de combiner les avantages de Si et de Ge (bas potentiel électrochimique de Si (0.4 V vs Li/Li+), forte conductivité électronique de Ge (x ~100/Si) et vitesse de diffusion de Li dans Ge élevé (x 400/Si). Par désintercalation du calcium de la structure Ca(Si1−xGex)2, le matériau anode SiliGane Si0.9Ge0.1 a pu être préparé, démontrant une capacité réversible de 1325 mAh/g (10 cycles, densité de courant 0.05 A/g) couplée à une efficacité coulombique élevée (98 %). Enfin, le matériau lamellaire siloxane Si6O3H6 obtenu à partir de l’élimination de Ca du matériau CaSi2 a été testé comme anode [248]. Des capacités réversibles de 2300 mAh/g et 311mAh/g avec les espèces Li et Na, respectivement, avec de bonnes capacités de rétention et d’efficacité coulombique (> 95%) ont été enregistrées.
Couplage anodisation électrochimique / électrodépôt pour des matériaux à structure cœur/coquille
Des structures cœurs-coquilles « TiO2-Métal actif pour anode (M = Si, Ge, Al » ont été étudiées dans le cadre d’une collaboration LRCS-LRN Reims avec l’objectif de proposer des matériaux présentant une grande surface spécifique et développant de la capacité face au lithium tout en permettant d’absorber/contrôler les variations de volume caractéristiques de ces métaux actifs lors des cyclages (figure) [9, 195, 320]. Pour cela des nanostructures ont été réalisées i) en synthétisant un réseau de nanotubes de TiO2 amorphe (NT-TiO2) par anodisation électrochimique de feuilles de titane, puis ii) en recouvrant ce réseau de Silicium ou de Germanium par électro-dépôt en tirant profit de la stabilité chimique et électrochimique des précurseurs type MClx (x= 3 pour M = Al, x= 4 pour M=Si, Ge) dans des liquides ioniques à Tamb (notamment le Py1,4[TFSI]). La stabilité et les capacités de charge/décharge élevées des nano-composites M@NT-TiO2 (M = Si, Ge) ont été attribuées d’une part à une bonne stabilisation des métaux sur le support TiO2 et à la porosité de la structure NT-TiO2 permettant « la respiration » des métaux lors des cyclages. Ces nano-composites montrent des capacités totales comparables face au lithium (850-900 mAh/g après 90-60 cycles (C/10, rétention de capacité de 73-76%, efficacité coulombique de 99%) [9, 320]. Le procédé d’élaboration de structures cœur-coquille a pu être étendu au composite Al@NT-TiO2 ouvrant ainsi de nombreuses perspectives et applications [195].

Synthèse bio-assistée de matériaux d’électrode texturés
Depuis plus d’une quinzaine d’années le LRCS explore et développe la synthèse de matériaux d’électrode nano-architecturés par bio-minéralisation en collaboration avec le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN, Paris, François GUYOT et Jennyfer MIOT) [28, 211]. Dans la thèse de Laura GALEZOWSKI, une étude a été menée sur la capacité d'une souche bactérienne type Pseudomonas Putida MnB1, Mn-oxydante, à produire, par bio-minéralisation à 30 °C, un matériau nanométrique capable de stocker de l'énergie. Dans un premier temps, il a été montré la capacité de cette bactérie à oxyder le Mn2+ en solution aqueuse, ce qui conduit à la précipitation d'une poudre biogénique nanométrique de MnO2 lamellaire (birnessite). Les tests électrochimiques réalisés sur cette birnessite biogénique ont révélé des propriétés électrochimiques prometteuses en particulier en puissance [211]. Vu la texture et les propriétés électrochimiques de la birnessite biogénique produite dans la première partie, cette bactérie a été utilisée pour produire un biofilm bio-minéralisé par la bactérie Pseudomonas Putida directement sur un collecteur de courant. L’un des résultats les plus intéressants de cette thèse est la synthèse directe d’une électrode positive complète en une seule étape et à 30 °C [28].
Recyclage de matériaux de batteries en fin de vie
En 2021 une nouvelle thématique « recyclage de matériaux de batteries en fin de vie » est créée au LRCS avec pour objectif ultime leur réutilisation dans le domaine de stockage de l’énergie. Dans le cadre de la thèse de Tassadit OUANECHE, financée par le RS2E, nous avons développé un procédé novateur permettant de recycler directement le matériau de cathodes LiFePO4 issu de batteries usagées par lithiation chimique directe à température ambiante. Ainsi, nous avons démontré qu’une cathode LFP en fin de vie peut être efficacement régénérée par une lithiation directe en solution en utilisant du LiI dans différents solvants organiques. Les meilleures performances électrochimiques sont obtenues avec l'éthanol, un solvant à la fois écologique et économique. De plus, la régénération du LFP a pu être réalisée directement sur une cathode contenant à la fois la matière active et le collecteur de courant en aluminium, ce qui ouvre la voie à un recyclage plus efficace en préservant l'ensemble de la formulation de l'électrode et en évitant les étapes de formulation de cette dernière. La cathode LFP lithiée chimiquement dans l'éthanol présente des propriétés électrochimiques remarquables, avec une capacité réversible d'environ 168 mAh/g, et une efficacité coulombique stable dépassant les 98 %. Nous avons développé deux nouveaux procédés de lithiation et recyclage de matériaux de batteries en fin de vie qui ont fait l’objet de 2 demandes de brevet [BR19, Br21]
Les sels fondus comme milieu réactionnel
Au travers d’une collaboration avec l’ICMCB de Bordeaux, le matériau cathode de structure spinelle désordonnée LiNi0.5Mn1.5O4 a été synthétisé, pour la première fois, par la méthode des sels fondus [21]. Pour cela, les sels de nitrates de nickel et de manganèse ont été mélangés avec du chlorure de lithium LiCl choisi comme source de lithium et milieu réactionnel (Tfus. = 605 °C). Le mélange conduit systématiquement à un matériau sans impuretés (LixNi1-xO) et constitué de particules plaquettaires multi-facettées ou octogonales en fonction de la température de réaction. Comparés aux méthodes de synthèses traditionnelles, les sels fondus augmentent la diffusion des espèces dans le milieu réactionnel et diminuent fortement les temps de réaction. Les plaquettes LiNi0.5Mn1.5O4 ont montré une capacité réversible de 147 mAh/g vs. Li suivant un régime d’un lithium échangé en dix heures (C/10) ce qui est similaire aux données de la littérature pour des synthèses plus classiques.
Le couplage méthodes « template » / frittage flash
Les études menées avaient pour but de préciser l’effet de la porosité d’un matériau de cathode sur les performances électrochimiques d’une batterie Li-ion [126, 292]. Pour cela, deux matériaux de cathode LiFePO4 et Li4Ti5O12 ont été mis en forme de pastilles poreuses en couplant l’approche template et la technique SPS.
Des particules microniques de chlorure de sodium NaCl ont été utilisées comme agent porogène. Des pastilles LFP/NaCl/carbone et LTO/NaCl/carbone (épaisseur 1 mm) ont été préparées et après élimination de l’agent porogène (lavage H2O) une porosité contrôlée et organisée dans le volume, de l’ordre de 40%, a été libérée (figure 2). La microscopie à rayons X à transmission a permis d’établir avec une grande précision la tortuosité, le volume poreux et la distribution et taille des pores (~10 µm). Les batteries réalisées (vs Li/Li+) ont montré des capacités de l’ordre de 20 mA h/cm2 (C/20) soit 4 fois supérieures à la capacité d’électrodes plus fines (0.1 mm) et non poreuses utilisées dans les batteries conventionnelles. Optimiser l'organisation spatiale des pores facilite la pénétration de l'électrolyte et conduit à une diffusion plus rapide des ions lithium.

Matériaux hybrides et chimie de greffage
En parallèle des activités menées sur les électrodes organiques et les électrolytes « tout-solide » (voir sections X et X), les composés organiques moléculaires peuvent aussi être utilisés via une approche hybride organique/inorganique pour améliorer les performances de matériaux d’électrode. Une première approche étudiée a consisté à incorporer des molécules organiques électroactives au sein de matériaux conducteurs, carbonés ou à base de Ti3C2, en vue d’augmenter leurs capacités de stockage [128, 225, 238]. Réalisée dans le cadre d’une collaboration avec le groupe du Pr. Yury GOGOTSI (Drexel, Philadelphie, Etats-Unis), cette approche a permis de proposer une nouvelle génération d’électrode, peu coûteuse et à base d’éléments abondants, et aux propriétés de stockage élevées (triplement de la capacité de stockage dans le cas du « graphene oxide »). Plus récemment, une approche « greffage » de sondes organiques électroactives ultra-rapide (TEMPO) a également été menée sur différents matériaux d’électrode positive (LiFePO4 et MnO2 par exemple) sur la base des travaux menés sur les oxydes métalliques [259, 271]. Dans ce cadre, l’influence de l’état de surface du matériau d’électrode sur ses performances et notamment sur sa conductivité intrinsèque a été mise en exergue [118], ce qui a ouvert la voie à une nouvelle génération de revêtement conducteur à base de molécules électroactives organisées à la surface (sans traitement thermique). Cet aspect fait l’objet d’un axe de travail dans le cadre de l’ANR COMETS (2023-2026).
Perspectives
En conclusion, les travaux de recherche du laboratoire menés sur les aspects de synthèse de matériaux (anode, cathode, électrolyte) couvrent un large panel de techniques conventionnelles et non-conventionnelles. Grâce aux savoir-faire des membres du laboratoire et des collaborations nouées, les approches expérimentales ont permis de façon globale un gain d’efficacité du matériau ciblé soit par l’amélioration de ses propriétés intrinsèques soit par une optimisation de son environnement de fonctionnement. Tout en poursuivant ces orientations techniques, le laboratoire se donne aussi l’objectif d’explorer des voies de préparation plus responsables et pouvant répondre à une production en masse des différents composants et en particulier d’électrolytes solides pour le développement de batteries tout-solide.