Impression 3D de Systèmes de Batteries
Personnel impliqué au LRCS: Loïc DUPONT, Sylvie GRUGEON, Stéphane PANIER (CRCT), Vincent SEZNEC, Michel ARMAND (émérite), Alejandro FRANCO, Matthieu COURTY, Raynald LESIEUR
Nous assistons actuellement à une révolution technologique et industrielle : l’impression 3D ou plus exactement la fabrication additive. Les divers procédés de fabrication par addition de matière permettent en effet le prototypage rapide de pièces modélisées en 3 Dimensions, la production rapide de petites séries sans perte de matière ou bien encore la réalisation, à la demande, de pièces détachées de remplacement en espace confiné (applications spatiales ou maritimes, par exemple). Elle permet également de créer des pièces en 3 dimensions ne pouvant être fabriquées par les méthodes classiques de mise en forme (par usinage). Vers 2017, plusieurs équipes à travers le monde ont fait le même constat : s’il est possible de fabriquer des pièces complexes, à la demande, en petites séries par impression 3D. Serait-il possible de fabriquer par impression 3D une batterie lithium-ion ? Cela permettrait non seulement de lui donner une forme particulière (autre que les prismatiques et les cylindriques) qui viendrait parfaitement épouser la forme de l’objet qu’elle aurait à alimenter (exemple le plus souvent donné : la monture de lunettes servant à alimenter les verres/écran en réalité augmentée), mais également ; à plus long terme, serait-il possible d’imprimer une batterie 3D par impression 3D pour en tirer tous les bénéfices que la théorie prédit. C’est cette idée nouvelle que nous avons essayé de développer au laboratoire depuis 2017, en utilisant la technique qui nous semble la plus prometteuse pour fabriquer une batterie complète : La FFF (Fabrication par Filament Fondu) [178, 219].
Réalisation d’une Batterie par FFF, de l’idée à la fabrication d’une preuve de concept (2017-2020)
En 2013, Jennifer A Lewis, de l’université de l’Illinois fut la première à émettre l’idée d’utiliser la fabrication additive pour échapper aux configurations planaires actuelles (empilements) constituant toute batterie lithium-ion commerciale. En utilisant la technologie « direct ink printing », elle réussit à imprimer des pâtons formant 2 peignes entrelacés de LTO-LFP puis à les cycler après un traitement thermique à 600°C pour éliminer les solvants ayant permis l’impression des « encres ». Partant de cette idée, nous avons choisi, au laboratoire, de nous focaliser sur une autre technique d’impression 3D : l’impression par fils fondus (FFF). En effet notre objectif premier était d’obtenir une batterie complète imprimée et ne nécessitant pas de post-traitement (déliantage ou chauffage), utilisant des imprimantes 3D que l’on pourrait modifier facilement. De plus nous avions (et avons toujours) en tête l’objectif final de pouvoir réaliser une batterie 3D complète nécessitant la formation d’électrodes tridimensionnelles entrelacées et autosupportées. À court terme notre objectif était donc d’imprimer en 1 seule étape une batterie complète (négative/séparateur/positive) comme preuve de concept, d’ensuite fort de cette étude, d’améliorer les performances de cette batterie en tentant de se rapprocher au plus près des performances de batteries commerciales et d’enfin, à plus longs termes, de changer la géométrie des électrodes pour obtenir une batterie 3D ou le gain en puissance viendrait compenser la capacité massique de la batterie. Chaque étape conduirait à une première : première batterie imprimée 3D, première batterie avec des performances optimisées et enfin première batterie 3D. IL est en effet important de noter que jusqu’à présent les équipes de recherche à travers le monde sont capables de fabriques des électrodes architecturées 3D (Piliers ou trous [138]), mais qu’ensuite il est impossible de les assembler sans créer de court-circuit.
Tout comme 2 ou 3 autres équipes à travers le monde (O Dwyer, University of Cork ; D. Golodnitsky, Tel Aviv University, C.W. Foster, Manchester University), nous avons choisi d’imprimer du PLA (thermoplastique le plus rependu pour la FFF), mais, plutôt que d’utiliser des filaments commerciaux très faiblement chargés en carbone, nous avons choisi de mettre à profit nos connaissances dans le domaine de la formulation des électrodes pour obtenir des filaments composites très fortement chargés en matière active et carbone conducteur pour obtenir les meilleures performances électrochimiques tout en conservant l’imprimabilité. Au travers du projet Région Hauts-de-France/FEDER OBI-ONE (2017-2020) « De l’Optimisation des composites thermoplastiques à la réalisation d’une Batterie Li-ION par imprEssion 3D » (thèse Alexis Maurel), en étroite collaboration avec Stéphane Panier du Laboratoire des Technologies Innovantes (LTI), nous avons tout d’abord développé un filament PLA/Graphite chargé à 50% massique [337] donnant les meilleures performances électrochimiques. Par la suite, nous avons développé un filament fortement chargé en LFP (50% massique) et développé un séparateur avec une architecture facilitant l’imprégnation de l’électrolyte liquide. En 2019, nous avons obtenu la première batterie lithium-ion à électrolyte liquide fonctionnelle imprimée, en une seule fois, par impression 3D [275] (fig.1).
Ce premier projet a mis en lumière les points suivants : si l’on veut obtenir une batterie commercialisable, il faudrait i) améliorer les performances électrochimiques ii) ces performances sont lié al la nature du polymère (PLA réagissant avec l’électrolyte), à l’épaisseur de l’électrode imprimée (problème d’imbibition) à la nature et à la quantité des carbones conducteurs utilisés (trop de dispersion, pas assez de percolation). iii) il sera nécessaire de développer un boîtier et des collecteurs de courant imprimables [151]. iv) il est possible, après adaptation des paramètres, d’imprimer des électrodes contenant aussi bien des matériaux actifs inorganiques qu’organiques [122] et que l’impression 3D pourrait également permettre l’impression de batteries tout polymère [224]. v) les filaments alimentant une imprimante multi-filaments (à développer) devront pouvoir être produits en grande quantité avec une qualité industrielle.

Optimisation des performances électrochimique en utilisant une approche co-continue
Fort des résultats préliminaires et des conclusions du projet OBI-ONE, le projet IODA « ImpressiOn 3D d’Accumulateurs lithium-ion » (thèse Victor Boudeville) a vu le jour, financé par l’ANR (2020-2025). IL s’agit d’un PRCE ayant pour partenaires le LRCS, Le LTI, le GEMTEX (spécialisé dans les polymères conducteurs) et la société Nanovia (entreprise bretonne fabricant des filaments composites). Les objectifs de ce projet sont de répondre point par point à l’ensemble des points listés plus hauts et d’obtenir en fin de projet des bobines commerciales permettant d’imprimer des batteries avec les meilleures performances électrochimiques possibles.
Le PLA a tout d’abord été remplacé par un mélange de 2 polymères thermoplastiques l’un polaire, l’autre apolaires formant des domaines co-continus. Les domaines de polymère polaire (PCL ou PEO) serviront à amener l’électrolyte au cœur des électrodes imprimées (veines observables sur l’image MEB de la figure 2) et les domaines de polymère apolaire devront contenir les matériaux actifs et les carbones conducteurs. La percolation électronique sera alors améliorée par le confinement des charges dans une partie du composite et par le changement de forme et de taille des carbones (nanotubes et nanofibres (en vert sur l’image MEB figure 2)). De même si l’on considère que le polymère polaire constitue, en contact avec l’électrolyte liquide, un polymère gélifié, il ne doit pas être compté comme faisant partie de l’électrode. Nous arrivons ainsi à obtenir des électrodes imprimées avec 65% en masse de matière active. Enfin les performances électrochimiques mesurées (figure 2) sont grandement améliorées (courbe bleue) par rapport à celles qui avaient été obtenues lors du projet OBI-ONE (courbe rouge) et se rapprochent de celle d’une électrode commerciale (courbe verte) [6b]. Ces travaux ont également fait l’objet d’un dépôt de brevet.
Vers l’impression 3D de batteries tout polymère
OBI-ONE a également montré que l’impression 3D de batteries à électrolyte polymère pourrait être possible. C’est le développement de ce type de batterie qui est au cœur du projet GROGU « GRavity Effect on charges distribution in lithium-iOn battery electrodes printed throuGh fUsed deposition modeling » (thèse Félix Bourseau) financé par les Hauts-de-France et l’Agence Spatiale Européenne (2022-2025). L’application clairement visée est la possibilité de fabriquer, à la demande, en lieu confiné (station spatiale ou colonie) des batteries sur une imprimante FFF développée pour fonctionner en microgravité. Après avoir étudier les stratégies et contraintes liées au spatial [37], nous sommes en train de développer une batterie imprimée 3D à base de PP/PEO/LiTFSi dans laquelle outre les charges habituellement ajoutées, d’autres nanoparticules sont ajoutées pour venir perturber (en plus de la co-continuité) la cristallinité du PEO et ainsi augmenter la conductivité ionique à température ambiante. Dans une seconde partie du projet, nos filaments développés seront imprimés sur l’imprimante de l’ESA afin d’étudier l’effet de la microgravité sur la distribution des charges dans les électrodes obtenues.
Outils pour la caractérisation des batteries et électrodes imprimées
Parallèlement, des outils de simulation [6] et de caractérisation ont été mis en place pour mieux comprendre l’effet des nombreux paramètres de formulation, d’extrusion du filament et d’impression 3D pouvant affecter la microstructure, les conductivités (électronique et/ou ionique) des éléments de batteries imprimés et donc leurs performances électrochimiques. Ces outils sont actuellement développés au travers de 2 thèses ayant débuté en 2023 : l’une sur la simulation de l’extrusion sans solvant (strudel 3D « Simulating battery electrodes manufacturing by exTRusion processes: continUous and Discrete mEthod for Large 3D numerical computations » financement Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires du CNRS, encadrée par le laboratoire de mathématiques LAMFA de l’UPJV et par Alejandro FRANCO), l’autre sur la caratérisation par microscopies électroniques (CHEWIE « Contribution of microscopy techniques to the visualization and prediction of charge distribution in co-continuous polymer wires used for 3D printing of lithium-ion batteries » financé par une bourse établissement. Une année de Post-doctorat est également financée par le CPER MANIFEST pour développer une collaboration avec la plateforme d’AFM de l’université d’Artois au travers du projet THE FORCE « Apports des TecHniques de microscopiE à FORCE atomique à l'observation de la microstructure d'électrodes de batteries lithium-ion obtenues par voie sèche ».
Vers la sélection de la meilleure technique de fabrication additive pour chaque composant de la batterie
Bien que la FFF nous semble la méthode de fabrication additive la plus adaptée pour réaliser une batterie complète, nous explorons les possibilités offertes par d’autres techniques d’impression 3D soit en interne soit au travers de collaborations établies avec des laboratoires étrangers. On peut notamment citer :
Binder Jetting : Afin de fabriquer une nouvelle génération de batteries tout solide céramiques ainsi que des électrodes épaisses pour des batteries à haute densité d’énergie, nous cherchons à utiliser, depuis un peu plus d’un an, la technologie de projection de liant sur lit de poudre (Binder Jetting BJ). Ainsi il sera possible d’obtenir les parties crues (ou vertes) des différents constituants (électrolyte et électrodes) de la batterie. Ce procédé d’impression consiste à projeter un liquide sur un lit de poudre afin d’agglomérer la poudre couche par couche. Le fluide peut être directement le liant ou un solvant qui dissout le liant prémélangé sous forme de poudre avec le matériau à agglomérer. Le principal avantage de cette technologie est d’obtenir une pièce crue avec une forte microporosité (40%) due au procédé en lui-même, mais également d’envisager une macroporosité par le design de la pièce. Par un traitement thermique approprié de ces « crus », les composants organiques sont éliminés et une céramique frittée est obtenue. La technologie employée pour cette étape dite de déliantage et frittage pourra être soit de type frittage naturel avec optimisation des cycles thermiques soit faire appel à la technique de frittage flash (Spark Plasma Sintering) permettant d’atteindre en des temps très courts des céramiques aux propriétés microstructurales facilement contrôlables.
VAT photopolymérisation : Nous collaborons depuis plusieurs années avec l’UTEP (Université du Texas à El Paso), tout d’abord au travers d’un doctorant (Alexis Maurel) ayant décroché une bourse Fullbright Hauts-de-France pour mettre en place la collaboration, ancien doctorant qui est ensuite resté à UTEP et qui continue à travailler avec nous sur l’utilisation de la VAT photopolymérisation (encore appelé SLA qui consiste à photopolymériser une résine à partir d’un faisceau laser) [166]. L’approche innovante choisie a été d’ajouter des sels qui se retrouvent emprisonnés dans la résine puis par chauffage qui permettent la formation de matériaux actifs constituants ainsi une électrode achitecturée en 3 dimensions [66].
Perspectives
Un tout nouveau projet sera lancé à la rentrée 2024 ayant pour objectif la fabrication de batteries Li ou Na-ion en utilisant une imprimante 3D spécifique (Neotech AMD) permettant l'impression multi-matériaux (2 pour les électrodes et 1 pour le séparateur) par dépôt d'encres de différentes viscosités. Ce projet, sous forme d’une thèse sera financé par la région Hauts de France et la Société Neotech qui a fabriqué l’imprimante. Cette imprimante, multi-matériaux, multi-techniques d’impression a été achetée par le LTI dans le cadre du CPER MANIFEST et installé au HUB de l’énergie, preuve de l’étroite collaboration mise en place sur le sujet de l’impression 3D de batteries entre le LRCS et le LTI. Cette même imprimante mutlifonction sera également au Cœur du projet conjoint LRCS-LTI TOPGUN « sTudy Of Polymer lithium ion battery printed via Gel deposition and material extrUsioN » combinant la VAT photopolymérisation et la FFF, financé par l’US AIRFORCE et qui débutera à la rentrée 2024.